La Revue Moutarde présente : Mortal Kombat adapté au théâtre

Publié le par Bardamu



La Revue Moutarde propose plusieurs textes littéraires "alternatifs". Mouvements, courants, auteurs alternatifs injustement oubliés par l'Histoire. Quelques esprits chargins affirment que ces chroniques, récits, témoignages ne sont que le fruit d'amours tourmentés entre l'imaginaire et l'extravagant, le poétique et la science des mots. Il n'en est rien.

http://larevuemoutarde.free.fr/index.htm

Un projet de feuilleton Western à plusieurs mains a vu le jour récemment. Sur ce site:

http://la-revue-moutarde.over-blog.com/

Pour un exemple de texte, voici une critique du dernier spectacle de Robert Hossein, une adaptation du jeu vidéo Mortal Kombat, à la Comédie Francaise.


Mortal Kombat à la Comédie Française :

 

 

 

 

 

« L’héritage de Boon ? Ici, c’est plutôt du Dany que du Ed »

(Un spectateur mécontent à la sortie de la première)

 

 

 

 

En amont :

 

 

Ce devait être le pinacle de la création moderne. L’alliage élégant et racé du classicisme et de l’audace. Des caractéristiques propres à la programmation traditionnelle de la Comédie Française. Alas ! Ce fut loin d’être le cas.

 

L’expectative était fébrile de cette mise en scène de Mortal Kombat par Robert Hossein (qui après ses derniers succès au Stade de France – Jean Paul 2, Ben Hur, Verdun, Che Guevara, Zidane – s’était vu proposer cette nouvelle création dans le sanctuaire de la place Colette).

 

Aussi, on annonçait à gorges chaudes des comédiens atypiques au jeu non stéréotypé. Un décor d’apocalypse, des costumes bluffants, un budget quasi illimité sur les perruques. Les rumeurs les plus extravagantes évoquaient des chants lyriques, des vrais animaux (pour les Animalities), des vrais bébés (pour les Babalities), même du vrai sang…

 

Mais beaucoup de caractères Word Times New Roman ont été cliqués pour rien. Les non sens et les barbarismes étaient trop nombreux. Nous y reviendrons.

 

La concurrence s’est activée aussi. Edouard Baer et sa troupe de trublions a réinventé Art Of Fighting, Patrice Chéreau a livré une composition bouleversante de Virtua Fighter (les acteurs tous enveloppés dans de larges gaines de papier cartonné pour signifier les polygones archaïques du jeu originel : « métaphore troublée et troublante de nos futures conditions d’êtres virtuels », Choryphée.com). Et comment omettre Pipo Delbonno qui en est à son cinquième mois de représentations à guichets fermés de Street Fighter, the World Warrior ? Bobo, l’autiste de sa troupe, incarnant un Blanka inouïe d’humanité ? Et Mariella, jeune prostituée anorexique arrachée aux milices tchétchènes, campant une Chun-Li éprise de justice ? Et Bertraïdo, immigré brésilien frappé de cécité, interprétant un Dhalsim cracheur de flammes ? Le Tout-Paris se presse pour eux et les médias suivent.

 

La pièce en elle-même :

 

Dès l’entrée dans l’enceinte dorée et subtilement tamisée de la Comédie Française, on s’interroge. A quoi servent ces blocs de pierre retenus sur les côtés par deux tablettes ? Pourquoi les ouvreuses sont des ouvreurs habillés en moine Shaolin ? C’est une agréable surprise. Il y a donc un souci d’immersion du spectateur. L’obscurité arrive. Les trois coups précédant la pièce sont des coups de gongs traditionnels.

 

 

 

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ACTE 1
Une chambre à coucher. La nuit. Une lampe sur la table.


Scène première

Sonya, en noir, avec le corps de son treillis cousu de jais, à la mode de GI Jane (Demi Moore). Elle est seule.

Elle ferme les rideaux cramoisis de la fenêtre et met en ordre quelques fauteuils. On frappe à une petite porte dérobée à droite. Elle écoute. On frappe un second coup.

Serait-ce déjà lui ?

Un nouveau coup.

C'est bien à l'escalier
Dérobé.

Un quatrième coup.

Vite, ouvrons !

Elle ouvre la petite porte masquée. Entre Rayden, le manteau sur le nez et le chapeau sur les yeux.

Bonjour, beau chevalier.

 

 

 

 

 

Ainsi débute les hostilités. Rayden, le Dieu du tonnerre, vient trouver Sonya, membre du corps d’élite du GIGN (première absurdité car elle est membre d’un corps d’unités d’élite de l’armée Américaine, pourquoi franciser à outrance ce qui n’a pas lieu d’être ?) Déjà, dans les sièges d’orchestre, un murmure d’incompréhension. L’acteur qui joue Rayden, Maurice Barthélémy (originaire de la troupe des Robins des Bois) a un mulet très apparent. Or, c’est à partir des Mortal Kombat récents que les cheveux de Rayden sont visibles. Nous sommes dans le premier Mortal Kombat et il n’y a pas de cheveux.

 

« Certes, mais Christophe Lambert, dans l’adaptation cinématographique, arbore fièrement une noble crinière. Les cheveux longs, du temps des vikings par exemple, signifiaient une virilité très puissante. La couleur blanche signifie bien sûr l’expérience et la sagesse d’une divinité immortelle, la perfection céleste marquée tel un buisson ardent »

 

(Réaction de Nicolas Puydebat, chercheur au CNRS et auteur de Flawless Victory, une cantate capitaliste ou de l’assimilation du Fordisme dans l’univers de Mortal Kombat)

 

Parlons-en de Christophe Lambert qui a redéfini à lui tout seul le genre du ténébreux au rire intriguant, à la colère froide. C’était un réel défi de s’attaquer à sa prestation du film. Et Maurice Barthélémy a failli. Trop peu de prestance, trop peu de stature. Quelques moments de grâce qu’on lui concède, et ce, à grande peine (lorsqu’il empale Kano sur une brochette géante, les alexandrins pour maudire Shang Tsung, le moment de romance lorsqu’il recharge l’I-pod de Sonya en insérant le petit doigt dans la prise USB, sur le bateau les conduisant dans l’Outre monde…).

 

 

Une originalité de mise en scène : un combat chorégraphié au 3ème balcon supérieur de la Comédie Française, entre Sub Zero et Reptile. Le public se retourne. C’est l’image du Pit. D’autres chuchotements de désapprobation. Le coup du coup de pied bicyclette que Reptile déploie ne lui appartient pas ! C’est une botte dont Liu Kang est le propriétaire. Verrait-on des mots d’Emma Bovary sortir de la bouche de Chimène ? De plus, la couleur de Reptile est le vert et non pas l’écarlate (Ermac, un autre ninja prendra cette couleur mais dans un opus ultérieur). Et pourquoi cette glissade de Sub Zéro sur une des rampes de l’escalier du deuxième balcon ? La glissade de Sub Zéro se fait horizontalement et ce n’est pas ce fat artifice qui calme les ardeurs de l’audience. En fin de compte, un uppercut de Sub Zéro a raison de Reptile qui chute de 2 étages et s’écroule sur la petite réserve matelassée. Le noir complet a été fait et une vive lumière a suivi le coup final de Sub Zero. Les poches de faux sang vert ont bien éclaté sous l’impact et des spectateurs ont pu être éclaboussés. La voix de Shang Tsung retentit : « Fatality ». Fin du premier acte.

 

« Effectivement, la couleur verte de l’hémoglobine de Reptile a choqué. On y a vu une référence assez déplacée à l’infamante censure dont a été victime la série des Mortal Kombat au Japon où le sang des combats était de cette couleur, ce qui allait à l’encontre même de la substantifique moelle de l’œuvre. A titre personnel, et au vu de la tunique rouge de Reptile, contresens trop évident pour ne pas être volontaire, j’y vois un savoureux jeu de contrepied. Reptile, le lézard à l’apparence humaine, c’est d’abord un caméléon, un camouflage, un jeu perpétuel de nuances, de teintes et d’invisibilité. »

 

(Nicolas Puydebat, encore lui)

 

On a salué dans les gazettes le choix de Romain Duris, de la génération montante des acteurs, pour le rôle de Johnny Cage. Dans un souci d’engagement politique qui l’honore, il a retenu comme marque de lunettes la même paire que celle portée régulièrement par notre président (de la marque Ray-Ban). Le jeu d’ombres sur son Shadow Kick a été applaudi par une frange d’incultes, ignorant le fait que la jambe d’appui doit glisser (on y revient) et non pas bondir. La grimace qu’il a consenti à offrir lors de son coup castrateur invalide face à Sonya a été appréciée. C’était un trait important de la panoplie de coups spéciaux du personnage.

 

Il convient aussi de distinguer une performance d’acteur. Celle de Samuel Le Bihan en Goro, le monstre à quatre bras. L’acteur a pris 14 kilos de muscle lors des 5 derniers mois (entraînement intensif sur le récent WiiFit, stages commandos divers…).  A voir notre illustration (la sixième), le résultat est impressionnant et on a dénoté quelques bambins terrifiés dans la salle, au grand plaisir de quelques zélotes pervers.

 

Le deuxième acte s’est définitivement attiré les sifflets du public. Scorpion, le spectre ninja qui poursuit Sub Zero a bien conservé sa tenue marron et son crâne de squelette sous son masque mais pourquoi n’a-t-il plus son grappin ? Un des coups spéciaux les plus jouissifs de toute l’histoire de la série et même des jeux vidéo en général que l’on « oublie » ? Et Scorpion qui laisse la vie sauve à Johnny Cage ? Scorpion n’a pas de miséricorde, c’est un tueur sans âme revenu de l’Enfer !

 

Le fait qu’il perde son combat contre Liu Kang a crée quelques remous dans la salle. Partisans de Scorpion s’en prenant à des partisans de Liu Kang. Certains dans la salle étaient venus avec des grappins bricolés ou trouvés sur des sites internet de vente aux enchères et les lançaient furieusement sur les spectateurs torses nus en pantalon noirs, eux même munis de balles de tennis peintes en orange (pour signifier la boule de feu de Liu). C’était un début de bataille dans l’assistance. Les ouvreurs-moines Shaolin se préparaient à faire une démonstration de « Test Your Might », le mini jeu de Mortal Kombat sur les pierres (à détruire d’un seul coup de tranchant de la main), mais voyant le pugilat prendre de l’importance (des adolescents à masques de saurien, fans de Reptile, donc, s’immisçant contre d’autres, déguisés en vieillards à longue barbichette, fans de Shang Tsung) interviennent pour interrompre la rixe.

 

Sur scène, Liu Kang terrasse Goro d’un Flying Kick. Des assistants ramassent le pauvre Samuel Le Bihan, incapable de se relever, engoncé dans sa carcasse aux quatre prothèses de bras mécanique. Rayden arrive pour le féliciter de sa victoire. Le ton est amphigourique, les déplacements sur la scène, incertains. Des salves d’applaudissements se disputent à des tumultes d’injures, de sifflements. Les quolibets ne se calment pas. On fait sortir la moitié de la salle, prête à en découdre. Nous sortons de la Comédie Française. Nous refusons d’assister à cette parodie sinistre.

 

Des forums Web vont etre crées afin de canaliser notre mécontentement, des vagues de Spams seront envoyés dans les boîtes d’e-mail de la Comédie Française, des poupées à l’effigie de Scorpion seront envoyées dans la boîte aux lettre de Robert Hossein, des pétitions vont circuler pour faire état de notre ire, certains extrémistes parlent même de camper sur des rails SNCF afin de gêner la circulation des trains grandes lignes pour le prochain départ de vacances.

 

Il ne faut pas arpenter les planches pour se complaire dans une ode au trivial, au bâclé, au non respect de l’œuvre séminale. Il faut simplement respecter cette dernière, monsieur Hossein, du début à la fin. Et je vous  conjure, ici, de revoir vos choix artistiques. Tout en remerciant avec chaleur les instances éditoriales de la revue Moutarde pour m’avoir proposé cette tribune.

 

 

 

 

Célestin Loynac.

Paris, le 22 Avril 2008.

 

Publié dans Internet

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